I – La fuite du Temps

1) La peur viscérale de la fuite du Temps

Nous avons choisi ces cinq textes en raison de leurs rapport au temps. Ils nous montrent des réactions de différents auteurs et de différentes époques face au temps.
Nous avons volontairement choisi des textes très hétéroclites dans leurs genres et leurs opinions pour offrir une palette variée où nous nous essayonse pas caricaturer les réactions de l’Homme.




Le Temps - Gérard de NERVAL
Le ballet des heures - Gérard de NERVAL (étude de texte)
L'Horloge - Charles Baudelaire
Automne malade - Guillaume Apollinaire
Midi 20 - Grand Corps Malade





Ces quatre auteurs Baudelaire, Apollinaire, Nerval et Grand Corps Malade (Fabien Marsaud) écrivent sur le temps, ce temps inéluctable. Il nous rapproche inlassablement de la mort. Mais bien que l’issue soit toujours la mort, certains semblent plus tourmentés par la fuite incontrôlée de ces heures.

Grands Corps Malade et Baudelaire semblent tous deux tourmentés par la fuite du temps. Ils ne nous communiquent pas la même impression mais la vieillesse qui les gagne jour après jour et les inquiète.
Dans Midi Vingt, on voit ce tourment apparaître dans le rythme de la chanson, bien que ce soit des vers très longs, l'auteur les dit rapidement de manière à montrer son angoisse. Il court après le temps mais ne cherche plus à l'arrêter.
Il compare la vie à une journée passant trop vite. La crainte de cet auteur est de ne pas avoir assez vécu, il traduit cette sensation par une journée à moitié écoulée et dont on voit déjà la fin.
Néanmoins, ce texte est optimiste à bien des égards et l'auteur ne regrette pas cette vie.
A l'inverse Baudelaire donne à son poème un ton très lent et plus solennel. Le vers "Horloge ! Dieu sinistre, effrayant, impassible" est composé d'une suite d'adjectifs ralentissant la lecture, de plus leur signification incite à ralentir.
Le vers "Dont le doigt nous menace." nous fait ressentir la malveillance que Baudelaire attribue à "l'horloge", tout comme l'assonance en "i" dans le second quatrain : plaisir, fuir, horizon, sylphide, coulisse, délice.

L'angle de vue de ces deux textes sur le temps diffère. L'Horloge laisse le goût amer du temps passé. "Souviens-toi" est répété quatre fois en français et deux fois dans d'autres langues pour souligner l'universalité de ce phénomène. Il semblerait que le bruit de cette horloge nous ait tué avant même que nous vivions : "Il est trop tard !".

Midi Vingt a une démarche différente, même si "la journée finit à minuit", il reste tourné vers le futur et la vie à venir.
Des similitudes se trouvent malgré tout dans les deux textes. Il y a dans chacun des textes des métaphores sur la fuite du temps, où la vie est résumée à une seule journée.

Baudelaire utilise la métaphore de la soirée ainsi "Le jour décroît ; la nuit augmente" pour suggérer la vieillesse. Et les deux auteurs utilisent les heures pour traduire un passage accéléré du temps "Trois mille six cent fois par heure". La mesure du temps qui est absolument abstraite nous est présentée comme indispensable, inévitable pour l'homme qui refuse de perdre son Temps.
Nerval intitule même son poème Le Ballet des Heures, poème, dans lequel apparaît un regard sur le temps plus apaisé et plus maîtrisé.
Et bien qu'il regrette ces heures :
« Comme si le bonheur de la plus longue vie,
Etait dans l'heure qui s'en va, »,
il semble pouvoir jouer du temps : « Et retenez-la bien au gré de votre envie ». Nous percevons cette même sensation dans son second poème Le Temps.
Nous avons un poète apaisé "du Temps le sage se rit, Car lui seul en connaît l'usage".
Dans ces deux textes, Nerval nous apprend qu'une heure heureuse ne peut être un regret. "L'amour, c'est l'immortalité", "Ne cherchons pas dans l'avenir Le bonheur que dieu nous dispense.". Apollinaire comme Nerval semble ne pas être tourmenté par le temps. Son poème nous donne l'impression de n'avoir jamais souffert de cette fuite contrairement à Nerval.
En effet, Nerval est devenu le "sage" qui se rit du temps mais il a fallu d'abord trouver la solution qui apaiserait son âme, alors qu'Apollinaire donne le sentiment d'accepter la fuite du temps comme une évidence.
"Un train
Qui roule
la vie
S'écoule". Ces vers donnent au lecteur un regard sur la vie plus calme et plus naturel. Apollinaire nous montre un aspect plus rassurant de ce temps en mettant en avant le renouveau que le temps amène, car bien que les arbres meurent à chaque hiver, ils laissent place à la neige qui est d'une beauté différente.

Tous ces textes nous présentent des réactions différentes et parfois même opposées face au temps, ils ont néanmoins en commun un rapport obsessionnel de l'Homme éphémère au Temps :« qui est menacé de disparition prochaine »(Le petit Prince, Antoine de Saint Exupéry) face au temps.